Tout commence à Venise
Ou les prémices du Festival International du Film à Cannes
Par Anthony Xiradakis
1938 : Au cours de cette année charnière de l’entre-deux guerres le cinéma s’est émancipé et a exprimé son besoin de liberté et d’indépendance face à la soumission de certaines instances cinématographiques internationales. Effectivement, c’est sous l’influence d’Hitler et de Mussolini, que le jury de la Mostra a modifié le palmarès quelques heures avant l’annonce des résultats, une décision sous contrainte pour favoriser un film ainsi qu’un documentaire de propagande nazie. Philippe Erlanger, diplomate et historien français, est profondément choqué par cet événement et envisage, dans un élan de révolte, d’organiser un festival de cinéma indépendant, exempt de toute pression ou contrainte. Son idée prend forme officiellement lorsqu’il reçoit le soutien et l’approbation de Jean Zay, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque. Le Festival international du film ouvrira ses portes à Cannes le 1er septembre 1939, en parallèle du Festival de Venise.
Origines du Festival International du Film de Cannes (1938-1939)
1938 : Joseph Goebbels, ministre de l'Éducation du peuple et de la Propagande du Reich, a contraint le jury de la Mostra de Venise à modifier le palmarès pour privilégier un film fasciste et un documentaire de propagande nazi. La Mostra, cette année-là, a subi la pression politique du gouvernement fasciste, mais aussi la puissance et le contrôle de Goebbels. Les films imposés au jury international sont le documentaire Les Dieux du stade de Leni Riefenstahl, ce film se déroule pendant les Jeux Olympiques de Berlin en 1936 et met en avant la musculature des athlètes et les règles strictes de la compétition sportive, vantant les attributs de la prétendue « race aryenne ». Une œuvre qui est toujours reconnue comme l'un des chefs-d'œuvre du cinéma des années 1930.
L’autre film, un long métrage, Luciano Serra, pilote de Goffredo Alessandrini, est produit et supervisé par le fils de Mussolini, Vittorio. Il relate à travers l’histoire de Luciano, pilote et de son fils Aldo Serra qui à son tour entrera dans l’aviation, en mémoire de son père. Ce dernier participera à la conquête coloniale de l’Ethiopie.
Luciano Serra, pilote recevra la « Coupe Mussolini » du meilleur film à la Mostra de Venise.
« C'est dans le climat incandescent de la guerre que le film trouvera sa signification la plus haute et sa spiritualité la plus profonde. Conçu sans rhétorique, mais avec une âpre humanité, le personnage de Luciano Serra (Amedeo Nazzari) […] acquerra davantage de relief et une efficacité plus sobre. » Goffredo Alessandrini
Cette pression fasciste sur les membres du Jury de la Mostra a carrément révolté Philippe Erlanger, le directeur de l’Association française artistique, qui a proposé de créer un festival de cinéma indépendant, sans asservissement aucun.
Philippe Erlanger, accompagné de certains critiques de cinéma Émile Vuillermoz et René Jeanne (membres du jury international de la Mostra) soumet à Jean Zay, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, le désir d'organiser en France un festival international de cinéma qui soit entièrement indépendant politiquement. Jean Zay est immédiatement intéressé par la proposition et donne une réponse favorable en date du 26 décembre 1938.
1939 : Avec le soutien du ministre Jean Zay, Erlanger planifie l’organisation d’un « festival des démocraties contre les dictatures », qui se déroulerait en parallèle de la Mostra de Venise. Malgré l’invasion de la Tchécoslovaquie le 15 mars 1939 et le déclenchement d’une guerre inévitable, Jean Zay et son équipe ont décidé de maintenir l’événement. Les Hautes Autorités françaises ont été encouragées par les Américains et les Britanniques, qui avaient, eux aussi, boycotté la Mostra de Venise. Harold Smith, représentant à Paris de la Motion Picture Association of America et Neville Kearney, délégué officiel du cinéma britannique en France, s'est lui-même engagé à soutenir ce « festival du monde libre » et à y amener des célébrités. Le projet se présente comme un partenariat franco-américain qui vise, dès le départ, à créer un grand marché mondial du film.
Plusieurs villes sont candidates à l’organisation de ce festival, notamment Vichy, Biarritz, Lucerne, Ostende, Alger, Cannes. Pour cette dernière, Henry-Georges Clouzot en apprécie son ensoleillement et aussi son « bien vivre » et sa situation géographique.
Les représentants des différents ministères concernés par le festival et formant un comité de coordination ont étudié les atouts de chaque ville en envoyant des émissaires sur place. La cité retenue sera finalement Cannes. Les directeurs de palaces Henri Gendre, propriétaire du Grand Hôtel, et Jean Fillioux, propriétaire du Palm Beach, ont développé de nombreux arguments en faveur de la ville en faisant valoir leurs capacités d'accueil et leurs équipements ainsi que l’existence d’une salle de projection, au Casino municipal de Cannes, pouvant accueillir un millier de spectateurs. La Ville de Cannes a également investi dans ce projet en augmentant sa participation financière à hauteur de 600 000 francs, somme mise à la disposition du comité pour ses salles de réception et a pris la décision de construire un palais spécialement destiné au festival.
Si la France a choisi Cannes comme lieu de prédilection pour son Festival, c’est aussi que cette cité balnéaire offrait à cette industrie cinématographique, un cadre aussi prestigieux que Venise. Le 31 mai 1939, la ville de Cannes et le gouvernement ont signé la naissance officielle du Festival International du Film
L’idée ayant fait son chemin, c’est en juin 1939 que Louis Lumière accepte d'être le président de cette première édition, qui, dans son principe, doit se dérouler du 1er au 20 septembre 1939. Il avait déclaré à ce propos :
« Je veux encourager le développement de l’art cinématographique sous toutes ses formes et créer entre les pays producteurs de films un esprit de collaboration »
La sélection française est, dès lors, arrêtée et comprend L'Enfer des anges de Christian-Jaque, La Charrette fantôme de Julien Duvivier, La Piste du nord de Jacques Feyder et L'Homme du Niger de Jacques de Baroncelli.
Parmi les films étrangers, on retrouve Le Magicien d'Oz de Victor Fleming, Pacific Express (Union Pacific) de Cecil B. DeMille, Au revoir Mr. Chips (Goodbye Mr Chips) de Sam Wood et Les Quatre Plumes blanches (The Four Feathers) de Zoltan Korda.
Dès le mois d'août, les vedettes affluent et la Metro-Goldwyn-Mayer affrète un paquebot transatlantique pour amener les stars d'Hollywood : Tyrone Power, Gary Cooper, Annabella, Norma Shearer et George Raft. Les instances prévoient pour cet événement des fêtes inspirées par le film Quasimodo. Les Américains projettent même de construire une réplique de Notre-Dame de Paris sur la plage de Cannes.
« Les plus beaux films du monde dans le plus beau cadre du monde. » Rémy Hétreau, illustrateur de l’une des affiches de la première édition du FIF de Cannes en 1946.
Le peintre Jean-Gabriel Domergue, cannois d'adoption, (dont la villa, léguée après le décès de sa femme à la municipalité de Cannes, est mise, depuis les années 1990, à la disposition du comité pour les délibérations du jury) crée la célèbre affiche du 1er Festival qui montre une femme applaudissant, le dos nu, la chevelure luxuriante, aux côtés d'un homme en habit, les deux premiers spectateurs du Festival et la « Coupe Lumière », du nom du président d'honneur du « festival du monde libre », ainsi nommée pour s'opposer à la coupe Mussolini de la Mostra de Venise, doit récompenser le meilleur film.(Source Wikipédia)
Toutefois, la première édition du Festival de Cannes, initialement prévue du 1er au 20 septembre 1939, a été interrompue le 29 août en raison de la déclaration de guerre du Royaume-Uni et de la France à l'Allemagne nazie le 3 septembre 1939, marquant l'entrée du pays dans la Seconde Guerre mondiale. De nombreuses célébrités américaines, dont Gary Cooper et Cary Grant, étaient déjà à Cannes lorsque l’événement a été annulé à la dernière minute.
Ainsi le 1er septembre, jour de l'ouverture, le Festival baissa le rideau avant même de l’avoir ouvert officiellement. C'est seulement le 26 mai 2002, que le « jury 1939 », sous la présidence de Jean d'Ormesson, décernera la Palme d'or 1939 au film de Cecil B. DeMille Pacific Express. Le jury de 2002 tiendra également à rendre hommage à deux espoirs féminin : Judy Garland pour le film Le Magicien d'Oz et Michèle Morgan pour le film La Loi du nord. Le jury complet de 2002 pour le festival de 1939 était constitué d'Alberto Barbera, Ferid Boughedir, Raymond Chirat, Dieter Koslick et Lian Van Leer.
Le deuxième premier festival de Cannes (1946)
« C’était la première fête que s’offrait le monde dans une sorte d’ivresse, sous un soleil qui ne cessa de briller jusqu’à la mi-octobre.» Philippe Elranger
(Source : Festival de Cannes - https://www.festival-cannes.com/)
1945 : Après la capitulation de l’Allemagne et du Japon, l’Europe, en liesse après ces années noires et nonobstant les traumatismes liés au conflit, la France cherche à se reconstruire. Malgré la faiblesse de ses institutions et les privations du peuple, le projet du Festival international du film de Cannes revient au-devant de la scène, grâce à la motivation et aux convictions de Philippe Erlanger, qui soumet l’idée à Jean Painlevé, le nouveau président de la Cinématographie française.
Erlanger, étant dans la clandestinité pendant la guerre du fait de ses origines juives, a dû quitter Cannes en raison de l’occupation allemande. Il n’aura pas de mal à réintégrer ses fonctions de président de l’AFAA pour réunir, de nouveau, la même l’équipe de 1939, celle qui avait préparé le Festival avorté. Malgré tous les obstacles financiers et les nombreux défis logistiques qu’ont rencontrés les organisateurs et notamment en termes d’accueil face au nombre conséquent de GI américains dans les hôtels de Cannes et la rareté des vivres, le Festival a pu voir le jour. C’est sans compter l’aide solidaire des entreprises régionales et des commerçants de la ville de Cannes que le pari a été remporté.
La première édition du Festival de Cannes a finalement eu lieu du 20 septembre au 15 octobre
1946 : C’est avec l’accord du gouvernement provisoire du général de Gaulle que les festivités ont débuté avec un gigantesque feu d’artifice et se sont poursuivies avec diverses manifestations, dont un concours de beauté et un défilé de mode. De nombreuses personnalités influentes de l’industrie cinématographique ont participé à l’événement parmi lesquelles : Roberto Rossellini, Walt Disney, Billy Wilder, George Cukor, David Lean, Jean Renoir…
Cette première édition a eu lieu au Casino municipal de Cannes, dans l'attente de la construction du Palais des Festivals dit « Palais Croisette » sur l'emplacement du Cercle nautique.
Cependant, cette édition a connu des problèmes conséquents dus au manque de temps de préparation, notamment des avaries de projection dans le Casino municipal. Certaines délégations (19 pays représentés) comme la Russie et les Etats-Unis ont même menacé de se retirer de la compétition, mais les organisateurs ont réussi à calmer les tensions qui commençaient progressivement à sortir du cadre du festival et devenir politique.
C’est dans un souci de réconciliation que le festival, cette année-là, a pris la décision que toutes les nations devaient recevoir un Grand prix. Malgré certains disfonctionnements et ses défaillances dans l’organisation de cette première édition, le monde du cinéma s’est accordé de dire que cet évènement majeur a été globalement une réussite. Ainsi le premier Festival de Cannes, appelé à cette époque le Festival International du Film de Cannes, a pu comme le Phoenix, renaître de ses cendres.
Le Festival de Cannes, depuis cette époque de tous les défis, est devenu l’un des événements cinématographiques les plus prestigieux au monde.
Enfin un blog qui suscite l'intérêt,,,
Je ne connaissais pas les origines du festival de Cannes, merci pour cette information et ce bel article.
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