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Souleymane Cissé

  • Photo du rédacteur: Marie Ange Barbancourt
    Marie Ange Barbancourt
  • 21 févr.
  • 9 min de lecture

Souleymane Cissé

Une mémoire de Cinéma !

Une réflexion sur la condition humaine

 

Par Marie Ange Barbancourt

Rédactrice en Chef et Directrice du développement Diamont-History- Group


Souleymane Cissé vient de nous quitter !  Un humaniste, un cinéaste dont l’œuvre intemporelle restera vivante pour plusieurs générations.

J’ai rencontré cet  homme de cœur et d’esprit en 2023, alors qu’on lui rendait hommage à Montréal dans le cadre du Festival Vues d’Afrique.


Photo Festival du Film International du Film de Cannes
Photo Festival du Film International du Film de Cannes

« Moi je dis tout simplement, il y a que le travail qui paie ! Si le travail est bien fait, même si on ne te reconnais pas aujourdhui, quand  tu ne seras pas là, on le reconnaîtra. Il y a beaucoup de grands créateurs qui ont survécu, ils sont honorés bien des années après leur départ parce que de leur vivant on na pas voulu les reconnaître. Je me dis quand on parle aux gens il faut les considérer, dabord on nest pas super homme,  il faut pour convaincre donner de soi-même et cest ma façon de voir et de réagir. »


Souleymane Cissé fait partie de ces gens qui, avec la force de leur engagement reste dans la floraison des idées et de la création. Souleymane Cissé était comme un printemps qui s’annonce avec des grands espoirs pour son pays. il y croyait. Ses envies pour son Mali, son engagement social, son humanité n’a pas été entamé par les ans.

Considéré comme l’un des Cinéastes les plus marquants de l’Afrique, né un 21 Avril à Bamako,  c’était un homme de qualité de cœur et d’esprit,  qui, dès le début de sa carrière a marqué par son engagement social, par son refus de l’injustice. Sa quête de vérité. Son premier film il l’a vu à l’âge de cinq ans, un western en compagnie de son grand frère, ce  qui avait suscité déjà en lui un sentiment d’impuissance face à ce qu’il voyait, sans vraiment en comprendre le sens.

 

« Enfant, jessayais de comprendre, on tirait sur les indiens, on mourait, ça avait suscité en moi quelque chose.»

 

C’est l’arrestation de  Patrice Lumumba (P.L Premier Ministre congolais destitué, arrêté et exécuté dans les années 60) qui l’a incité à s’engager réellement dans cette avenue cinématographique.

Dès lors, il avait déjà une vision claire des grandes lignes qui allaient marqué son cheminement par des histoires de vie, que ce soit dans «DEN MUSO» qui parle d’une jeune muette violée qui, enceinte sera rejeté par sa famille... Film qui lui a valu la prison et qui a été censuré par le ministère de la culture à l’époque, sortie 3 ans après Baara où il soulève la question des droits des ouvriers, ou «FINYÈ» (sélectionné en 1982 à Cannes) sur la révolte des étudiants face au pouvoir militaire. «YEELEN» sur le passage douloureux de L’enfance à l’âge adulte (Prix du jury à Cannes en 1987). «WAATI» qui nous parle d’une enfant noire au pays de l’Apartheid, «MIN YÉ» sur la polygamie, (aussi présenté à Cannes), «O KA »qui relate l’histoire de sa famille expulsé d’une maison malgré leur droit d’y être. (Cannes 2015)


Le cinéma de Cissé est universel et nous porte à réfléchir. Son écriture cinématographique est un constat de faits.  Comment est suscité ce processus de création ? Comment le cinéaste est-il stimulé au moment où il décide d’écrire sur le  sujet en question ? Il nous décortique son œuvre en nous forçant à aller plus loin,  à scruter le monde et comprendre son état réel. Le cinéma de Cissé est une représentation qui va au-delà des frontières de l’Afrique tout en gardant une identité, et une idéologie contextuelle qui donne une certaine complexité à l’œuvre du cinéaste.


« Prenons le cas de «YELEN» comment cette histoire est venue, après que j’aie tourné BAARA et FINYÉ, il y a des collègues qui m’ont dit : Ça va, tu as tout dit, tu ne pourras plus écrire de film comme ça. Et là ça m’a tiqué, je me suis dit : ils ont peut-être raison. Alors je me suis posé la question pourquoi ne pas changer de sujet parce que à ce moment-là  je m’étais beaucoup engagé dans la politique sociale. C’était dur, j’ai passé des mois à chercher mais à un moment je me suis dit la solution est sous mes pieds, dans chaque famille on trouve des problèmes, comment les aborder, ces problèmes bourrés d’injustices que ce soit envers l’enfant, la femme, ainsi de suite. alors j’ai pris une histoire de famille je l’ai mis dans le fantasme et c’est comme ça est parti l’histoire de YELEN.

Chacun de mes films a une raison quelque part « FINYÉ» parce que j’étais bouleversé par le comportement de  la police en face des enfants, dont les enfants de mes frères qui faisaient partie de ce lot. Et prenons le cas de « BAARA», là c’est comme si j’étais moi-même concerné, l’ingénieur c’est presque comme moi. Mais comment faire pour sauver ses ouvriers ? Donc Chaque film est créé dans ce contexte-là.»

 

Sa dissection des faits à travers la fiction lui a permis d’aller plus loin dans sa réflexion  et son constat social.


« Ça n’arrête pas l’injustice !  c’est sous toutes ses formes qu’on le voit. Je prends le cas de « WAATI» (le Temps) où la jeune sud-africaine noire qui voit  son papa fouetté par des enfants sous ses yeux et qui ne savait pas quel genre de révolte elle peut faire, la seule chose était d’apprendre de cette injustice. Je suis très curieux, je sais que l’homme est capable de tout. Cela n’a rien à voir avec la couleur, peu importe la nationalité faut aller au centre. La couleur n’existe pas, c’est d’abord l’être humain qui est en face de nous.»


Le constat que le Cinéaste fait dans ses films s’applique à tous les peuples, et s’inscrit dans la lignée d’un héritage par la force, la richesse et le traitement de ses propos. Cissé ne regrette pas de s’être engager sur une voie sociale dans son cinéma. Il revient encore sur Finyé  (1982 le vent) projeté au  FESPACO (Festival de cinéma au Burkina Faso) il ya trois ans. Un film troublant d’actualité .

 

« Je lai vu avec des jeunes étudiants, jai limpression que ce film était fait pour aujourdhui. Il y a 32 ans la situation au Mali était tel quil fallait un changement, une révolution. On a cru que ce changement était arrivé. Malheureusement aujourdhui on revient au point de départ et ce film est encore dactualité. Je me projette dans le temps, je me dis toujours le présent est intéressant à condition quil prépare le futur et si le futur nest pas préparé le présent na pas existé »


Avec Cissé le cinéma africain est rentré dans un courant universel qui a projeté son cinéma au-delà des frontières africaines par son langage, son travail rigoureux et son sens du récit. Pour le cinéaste l’humain est avant tout au cœur de son histoire malgré l’imaginaire.


«  Quand Yelen a été projeté à Tokyo, il y a un homme d’un certain âge qui est venu me  voir me disant : Monsieur Cissé, votre film ce n’est pas un problème de votre famille.  J’ai répondu : C’est un sujet réfléchi.  Évidemment ça a soulevé des questions au sujet de la famille, comment peut-on  mettre au monde un être et ensuite le combattre ? Il a été très sensible  à l’histoire. »


Il nous a parlé de l’état du cinéma au Mali lui qui pour arriver à créer, toute sa vie a été parsemé de difficultés pour y aboutir.

Quelle réflexion doit-on porter sur la situation du cinéma au Mali  où il est difficile de tourner par l’absence de financement où Il faut compter sur les investissements de tiers, les fonds étrangers. Dans un contexte où il ne reste qu’une seule salle de Cinéma.  Préoccupé mais  bourré d’espoirs pour le devenir du cinéma au Mali.


« Je  crois profondément, ce n’est pas parce que les choses sont coupées depuis des années jusqu’à aujourd’hui qu’il faut perdre espoir, même si les hommes nont pas changé ! Il faut une prise de conscience dans un contexte bien donné, je pense que le jour où l’homme sera là à la place de ce qui est, il y aura un changement, il y aura une évolution. Il y aura une révolution avec le temps. Le changement je le crois est radical, il va venir»


Souleymane Cissé et sa fille Fatou
Souleymane Cissé et sa fille Fatou

Dans un documentaire intitulé : Hommage dune fille à son père, sa fille nous présente l’homme


C’est un regard percutant que la fille porte sur son père. Dans le film Hommage dune fille à son père  présenté à Cannes en 2022. C’est l’héritage, le travail de Souleymane Cissé, ce qu’il est en tant que Cinéaste, Homme, père et ami qu’on découvre dans ce très beau documentaire de Fatou Cissé qui a marqué l’ouverture du festival Vues d’Afrique en 2023.  Sans complaisance et Ficelé à la manière d’une fiction, on s’intéresse au récit que nous livre les protagonistes avec un regard éclairé sur ce qu’est Cissé pour le cinéma Mondial. Ses amis, sa famille, ses collègues, des réalisateurs Martin Scorcèse, Costa Gavras, et plusieurs autres nous parlent de l’importance des films de Souleymane Cissé. 

 

Quand on l’interroge sur son sentiment, sur le regard qu’il pose sur le travail de sa fille, Fatou Cissé, il nous répond :

 

« Jai tout laissé tombé à Bamako pour laccompagner. Elle a eu le courage de faire ce film-là. Elle a décidé de le faire et je vais la laisser parler »


Au-delà du personnage cinématographique Fatou Cissé parle de son père avec son admiration pour l’humain et le cinéaste.


« Je peux dire, le film ma permis de montrer la personnalité de Souleymane Cissé, on connait le grand réalisateur, le grand cinéaste à travers ses œuvres, mais on ne savait pas que c’était quelquun daccueillant, souriant, simple. Il aborde un ministre et quelques minutes après sil aborde un mendiant lapproche sera pareille, il a le même réflexe avec tout le monde. Cest surtout ce que je voulais montrer en tant que tel dans mon film »


Chacun des films de Souleymane Cissé nous interpelle et nous force à jeter un regard sur nous-même, sur le monde, ce qu’il est, ce qu’il devrait être. Un rapport d’humain à humain c’est ce que Souleymane Cissé privilégiait. On le sent bien dans ce film qui fera office de mémoire dans l’héritage du cinéaste.

 

Ses deux derniers prix


Après Le festival international de Cinéma Vues d’Afrique, le Cinéaste a reçu un Carrosse d’Or (titre du film de Jean Renoir, prix institué en 2002) décerné par la société des réalisateurs de films à l’ouverture de la Quinzaine des cinéastes, le 17 mai 2023, lors du Festival de Cannes. Souleymane Cissé reçoit ce prix 18 ans après le réalisateur Sénégalais Ousmane sembène en 2005. 

Avant la remise à cannes quand je lui  ai posé la question : comment considérez-vous cela? Cet hommage va vous propulser vers autre chose en vous stimulant sûrement pour l’avenir, Quel est votre sentiment pour ce Carrosse d’or ? 


« Je n’aime pas m’avancer sur les choses qui ne sont pas concrètes dans ma main, avec toute modestie, je pense que quand le trophée me sera remis je pourrai répondre à cette question. Le carrosse d’or c’est Génial, je suis très touché et le sentiment que j’aurai quand on me le remettra sera sûrement autre chose. Par exemple quand je dois faire un film , tant que je nai pas concrétisé je naime pas en parler. Je suis comme ça »


L’œuvre de Cissé un réquisitoire en faveur d’un monde plus juste


Un mot qui revient souvent dans les propos de Cissé :  injustice.  Ce mot qui a marqué sa quête. Par son approche et sa lecture sociale, c’est aussi un réquisitoire en faveur d’un monde plus juste.  Réveiller les esprits et peut-être, qui sait, amener une plus grande conscience et changer le regard des uns aux autres.


Souleymane Cissé rentre dans la mémoire de la collectivité par son engagement, sa façon d’aborder le cinéma avec audace, ténacité et rigueur.

Il avait l’impression que les choses reviennent comme un épisode, un sentiment que rien ne bouge.  Une stagnation qui lui portait  à penser à ça. Il faut immanquablement un point de chute, un espoir qui emmènera son peuple sur une autre rive.  Il voulait faire un autre film.


« Si on m’en donne les moyens ! Moi je n’aime pas faire des films comme ça.. il me faut ressentir des choses. Je fais des films comme je le ressens, c’est la création qui exige cela. »


Le cinéma de Cissé est intemporel, on s’identifie à ses personnages.  L’universalité de son propos touche et interroge.  On aime le cinéma de Souleymane Cissé parce qu’il apporte une réflexion sur la condition humaine.



On lui laisse le dernier mot

 

« Je fais les films tel que je le sens, quelquun ma dit que je suis perfectionniste, cest pas ça, tout simplement cest la création qui exige cela. La nouvelle génération qui va venir après va se dire ils ont traité ce sujet, nous, nous allons voir comment nous allons le traiter. il est important pour le film de faire projeter les gens dans le futur. Toujours ! Les choses ne sarrêteront pas à moi et cest ça lavantage du cinéma »


Merci pour cet héritage cinématographique

Condoléances à Fatou Cissé et à toute sa famille et notre famille cinématographique


RIP  Souleymane Cissé  21 avril 1940-19 février 2025


Affiche du film Oka de Souleymane Cissé
Affiche du film Oka de Souleymane Cissé

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