LEE MILLER
Entre ombre et Lumière
Par Serge Leterrier
« Je continue de dire à tout le monde, "Je n’ai pas perdu une minute de ma vie" – mais je sais maintenant, que si je devais recommencer, je serais encore plus libre avec mes idées, avec mon corps et mon affection. » Lee Miller
Lee Miller est une figure emblématique de la photographie du XXe siècle. Elle a marqué l’histoire non seulement par son talent artistique, mais aussi par son courage et sa résilience. De mannequin à muse d’artistes, puis correspondante de guerre, elle a su capturer les moments les plus sombres et les plus poignants de la Seconde Guerre mondiale. Le film Lee Miller, réalisé par Ellen Kuras et mettant en vedette Kate Winslet, nous plonge dans la vie fascinante de cette femme extraordinaire, révélant les multiples facettes de son parcours exceptionnel.
Lee Miller
Un Biopic Captivant sur une Icône de la Photographie de Guerre
Le film Lee Miller nous plonge dans la vie fascinante et complexe de la célèbre photographe et correspondante de guerre, Lee Miller. Interprétée par la talentueuse Kate Winslet, ce biopic retrace le parcours exceptionnel de cette femme qui a su briser les normes sociales de son époque pour devenir une figure emblématique de l’art et du journalisme de guerre.
Elle commence sa carrière comme mannequin dans les années 1920 avant de devenir la muse des surréalistes. Cependant, c’est en tant que correspondante au cœur de la Seconde Guerre mondiale qu’elle se fait véritablement connaître. Le film dépeint avec soin ses expériences sur le terrain, capturant les horreurs de la guerre à travers son objectif.
Kate Winslet est immersive dans ce rôle, donnant au personnage cette crédibilité et cette authenticité nécessaire pour incarner Lee Miller avec une justesse incroyable autant dans la force que dans la vulnérabilité de cette femme complexe. Une performance magistrale de l’actrice qui nous fait oublier très rapidement le contexte cinématographique de l’instant.
Ce long métrage est également un hommage visuel à l’art de la photographie. Chaque scène est composée avec soin, utilisant des jeux de lumière et des cadrages qui rappellent le travail artistique de Lee Miller elle-même. La manière dont la guerre est filmée, principalement à travers les yeux d’une photographe, donne une véritable profondeur esthétique au film.
Art, guerre et resilience
« Il y avait beaucoup de choses, touchantes, poignantes ou étranges que je voulais photographier… » Lee Miller
Lee Miller, née Elizabeth Miller le 23 avril 1907 à Poughkeepsie, New York, a grandi dans une famille progressiste. Son père, Theodore Miller, était un photographe amateur passionné qui lui a appris les bases de la photographie dès son plus jeune âge. Cependant, sa jeunesse a été marqué par un traumatisme profond : à l’âge de sept ans, elle a été violé par un ami de la famille, ce qui a eu des répercussions psychologiques et physiques tout au long de sa vie.
Dans les années 1920, Lee Miller a connu une ascension fulgurante en tant que mannequin vedette pour Vogue. Elle a posé pour des photographes de renom comme Edward Steichen et George Hoyningen-Huene. En 1929, elle a déménagé à Paris pour travailler avec le surréaliste Man Ray, devenant à la fois sa muse et sa collaboratrice. Ensemble, ils ont découvert la technique de la solarisation, qui a marqué leur travail artistique.
Lee Miller a eu une vie personnelle tumultueuse. En 1934, elle a épousé Aziz Eloui Bey, un homme d’affaires égyptien, et s’est installée au Caire. Cependant, en 1939, elle a quitté Bey et a déménagé à Londres pour être avec Roland Penrose, un artiste surréaliste qu’elle a épousé plus tard. Leur maison, Farley Farm House, est devenue un lieu de rencontre pour de nombreux artistes et intellectuels de l’époque, y compris Pablo Picasso, qui a peint plusieurs portraits de Miller.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Miller a travaillé comme correspondante de guerre pour Vogue, documentant des événements clés tels que la libération de Paris et les camps de concentration de Dachau et de Buchenwald. Ces expériences ont eu un impact profond sur sa santé mentale, et après la guerre, elle a lutté contre la dépression et l’alcoolisme. Lee Miller a ensuite continué à photographier et à écrire tout en souffrant de troubles mentaux.
Comme un clair-obscur, la vie de Lee Miller est faite de contrastes saisissants. De la splendeur des podiums de mode aux horreurs des champs de bataille, elle a su capturer la beauté et la laideur du monde avec une sensibilité artistique inégalée. Ses photographies, telles des poèmes visuels, racontent des histoires de souffrance, d’acceptation, d’abnégation, de destruction et de renaissance.
A croire que son propre traumatisme a développé en elle une sensibilité et une empathie accrues pour les souffrances des autres. Cela se reflète dans ses images brutes de ses troubles, qui capturent non seulement les événements, mais aussi les émotions et les histoires des personnes qu’elle a rencontrées, c’est ce que je ressens en écrivant cet article.
J’en veux pour preuve ses photographies de Dachau et de Buchenwald qui sont parmi les plus poignantes et les plus importantes de la guerre, révélant les horreurs de l’Holocauste au monde entier. Sa présence à des moments critiques, comme l’assaut sur le port de Saint-Malo, témoigne de son dévouement et de son courage.
Lee Miller a ainsi laissé un héritage photographique inestimable, offrant une perspective unique et humaine sur les événements de la Seconde Guerre mondiale.
Lee Miller
Ses correspondances
« C’est merveilleux – le premier soldat allié que je vois, et c’est toi ! » Pablo Picasso lors de la visite de Lee Miller à son studio en Août 1944
Man Ray
Lee Miller qui a eu une relation personnelle et professionnelle intense avec et leurs lettres échangées montrent une profonde connexion artistique et émotionnelle. Dans ces correspondances, Miller exprime souvent ses luttes internes et ses aspirations artistiques, tandis que Ray répond avec des réflexions sur leur travail commun et leurs expériences partagées.
Roland Penrose
Roland Penrose, son mari et artiste surréaliste, a été un soutien important pour Miller. Leurs lettres révèlent une relation complexe où Miller partage ses sentiments de frustration et de désir de liberté, tout en cherchant à équilibrer sa vie personnelle et professionnelle. Penrose, de son côté, encourageait souvent Miller à poursuivre ses ambitions artistiques malgré les défis.
Pablo Picasso
Lee Miller et Pablo Picasso ont entretenu une amitié étroite. Leurs échanges épistolaires montrent une admiration mutuelle et une compréhension profonde de leurs œuvres respectives. Picasso a souvent exprimé son respect pour la capacité de Miller à capturer la réalité brute à travers son objectif, tandis que Miller admirait la créativité et l’audace de Picasso.
David E. Scherman
David E. Scherman, photographe et ami proche, a partagé de nombreuses expériences de guerre avec Miller. Leurs lettres échangées pendant et après la guerre montrent comment ils ont tous deux lutté pour traiter les horreurs qu’ils avaient vues. Miller écrivait souvent sur la nécessité de documenter la vérité, même si cela signifiait revivre des traumatismes.
Lee Miller
Les anecdotes
« Je l’ai aimée comme je n’ai jamais aimé personne d’autre. Elle était ma muse, mon inspiration, et elle a transformé ma vision de l’art. » Man Ray
L’Incident de la « Kotex Girl »
Dans les années 1920, alors qu’elle était un mannequin très demandé, une photographie de Lee Miller prise par Edward Steichen a été utilisée sans son consentement pour une publicité de serviettes hygiéniques Kotex. Cet incident a provoqué un scandale à l’époque et a temporairement terni sa carrière de mannequin, la faisant étiqueter comme la “Kotex Girl”. Cet événement l’a poussée à quitter le mannequinat pour se concentrer sur la photographie.
La Baignoire d’Hitler
L’une des anecdotes les plus célèbres de la vie de Lee Miller est la photographie où elle est assise dans la baignoire d’Adolf Hitler à Munich, prise peu après la libération du camp de Dachau. Cette image symbolise la victoire sur le régime nazi et la présence de Miller sur le terrain. Elle a été prise par son collègue photographe David E. Scherman et est devenue l’une des photographies les plus emblématiques de la Seconde Guerre mondiale.
« Pendant la guerre, Lee et moi étions presque inséparables. Nous étions ensemble lors de la jonction avec les Russes, et nous étions ensemble à Dachau. Nous avons emménagé dans le quartier général d’Hitler à Munich. » David E. Scherman
« Je préfère prendre une photographie plutôt qu’en être une. » Lee Miller
Lee Miller est bien plus qu’un simple biopic ; c’est un hommage vibrant à une femme qui a défié les conventions et laissé une empreinte indélébile dans le monde de la photographie. Grâce à la performance magistrale de Kate Winslet et à une réalisation soignée, le film parvient à capturer l’essence de cette icône de la photographie de guerre. En revisitant son œuvre et sa vie, elle nous rappelle l’importance de la résilience et de la créativité face aux épreuves les plus difficiles que nous procure l’existence.
Lee Miller est décédée le 21 juillet 1977 à Farley Farm House, près de Chiddingly, dans le Sussex de l’Est, en Angleterre. Elle laissera derrière elle l’image d’une femme qui danse avec les ombres après avoir trouvé la lumière dans l’abandon. Une image de contraste et de rêves, le plus souvent difficiles à soutenir dans ce diaporama infernal d’où elle saisit l’âme humaine, trouvant la beauté sereine même dans les ruines de la guerre. Que pouvons-nous dire ou faire sinon d’admirer le caractère de cette femme, qui dans la douleur et la souffrance a construit, seule, son œuvre photographique.
« La personnalité du photographe, son approche, est vraiment plus importante que son génie technique. » Lee Miller
super article