LA TRESSE
Un film de Laetitia Colombani
La Tresse : Trois continents, trois femmes, une humanité partagée
Par Serge Leterrier
« Ces trois femmes n'ont pas le choix, elles doivent avancer. Leurs cheveux les guident, comme un fil d'Ariane, à travers le labyrinthe de leurs destinées. » — Critique littéraire sur le roman.
Propulsé dans cette magnifique histoire j'ai ressenti l'impact troublant d'une œuvre qui brise nos certitudes sur l'universalité des combats féminins ! Rarement un film m'a ainsi électrisé et éclairé par sa capacité à transformer trois destins apparemment disjoints en une symphonie vibrante d'humanité partagée. Face à ce chef-d'œuvre cinématographique (c’est mon avis), je me suis retrouvé, en tant que scénariste et auteur, confondu, impressionné même par cette alchimie d’écriture qui transmute trois histoires ordinaires en un récit extraordinaire de résistance et d'espoir.

La Tresse est un roman français écrit par Laetitia Colombani, publié par Juliette Joste aux éditions Grasset en 2017, puis réédité en 2018 aux éditions Le Livre de Poche et traduit en 40 langues. Il s'agit du premier roman de l’autrice. La Tresse est aussi une adaptation cinématographique du roman, d'une durée de 120 minutes, sortie le 29 novembre 2023. Réalisée par Lætitia Colombani elle-même en collaboration avec Sarah Kaminsky. La bande sonore est composée par Ludovico Einaudi. Le film est tourné dans les langues originales (hindi, italien et l'anglais), notamment par les actrices Kim Raver (Sarah), Fotinì Peluso (Giulia), et Mia Maelzer (Smita) dans les rôles principaux.

« Ce qui m'a touchée dans ces trois histoires, c'est la résilience de ces femmes. Leur capacité à transformer leur vulnérabilité en force. » — Laetitia Colombani lors d'un entretien sur son roman.
J'ai découvert La Tresse au détour d’une recherche de film sur Netflix, sans attentes particulières, pour me retrouver happé dans un tourbillon d'émotions et de réflexions qui m’a accompagné tout au long de cette histoire.
L'Inde de Smita m'a confronté à mes privilèges occidentaux sans tomber dans le piège du voyeurisme compassionnel. La Sicile de Giulia m'a rappelé combien les traditions peuvent se transformer en carcan. Le Canada de Sarah m'a renvoyé au mythe contemporain de la réussite à tout prix. Ces trois espaces mentaux fonctionnent comme des miroirs psychologiques où je projette mes propres questionnements.
Je suis frappé par l'intelligence avec laquelle le film tisse ces trois récits distincts. Cette structure m'apparaît comme une métaphore visuelle de notre humanité partagée – séparés par la géographie mais unis par des aspirations communes. Je vois dans cette tresse symbolique l'incarnation parfaite de la théorie des cordes sociales, où chaque vie résonne avec d'autres à travers l'espace et le temps.
La théorie des cordes sociales
Un regard différent sur la vie
J'ai développé cette théorie des cordes sociales en m'inspirant des concepts quantiques pour appréhender différemment nos connexions humaines. Contrairement à la physique théorique qui cherche à unifier les forces fondamentales, ma vision applique cette perspective aux liens sociaux invisibles qui nous unissent par-delà les distances géographiques et culturelles.
Je vois nos vies comme des filaments vibratoires qui, sans jamais se toucher directement, résonnent néanmoins entre eux dans un espace social multidimensionnel. Les actions d'une femme en Inde peuvent ainsi créer des harmoniques qui influencent subtilement l'existence d'une Canadienne sans qu'aucune d'elles n'en ait conscience. La Tresse illustre parfaitement cette proposition théorique.
La vibration de ces cordes sociales s'exprime à travers nos émotions partagées, nos luttes similaires, nos aspirations communes – créant ce que j'appelle des « champs de résonance identitaire ». Ces champs transcendent les notions traditionnelles de société et de culture pour révéler une matrice d'interconnexions plus fondamentale.
Cette conception révolutionne notre compréhension de la solidarité humaine. Nous ne sommes plus simplement des individus isolés formant occasionnellement des groupes, mais des nœuds d'énergie dans un réseau cosmique d'interactions permanentes. Chaque geste d'émancipation, chaque acte de courage fait vibrer l'ensemble du système, créant des possibilités d'évolution collective.
Ce paradigme nous invite à reconsidérer radicalement notre conception de l'identité – non plus comme une entité fixe et délimitée, mais comme une configuration vibratoire unique dans ce vaste champ unifié de cette humanité partagée.

Comment La Tresse réinvente le mythe du destin
Plongeant dans les racines du mot « tresse », j'ai découvert une fascinante généalogie linguistique qui illumine davantage le film. Issu du latin médiéval « tricia », lui-même dérivé du latin classique « tricae » signifiant « complications » ou « enchevêtrements », ce terme porte en son essence même l'idée de destinées entrelacées que le film explore magistralement.
Cette étymologie résonne profondément avec la structure narrative de l'œuvre. Les « complications » évoquées par l'origine latine se manifestent dans les obstacles que chaque protagoniste affronte. L'acte de tresser – entrelacer trois brins distincts pour créer une structure unique et solide – devient ainsi une puissante métaphore visuelle de notre interconnexion humaine fondamentale.
Je perçois dans le symbolisme de la tresse une représentation archétypale du tissage du destin présente dans presque toutes les mythologies. Les Moires grecques, les Nornes scandinaves, les Parques romaines (Que nous verrons un peu plus loin dans l’article) – toutes ces fileuses du destin utilisent l'image du fil comme métaphore de la vie humaine. Le film transpose brillamment ce concept universel dans notre monde contemporain. « La tresse » devient cette structure qui, paradoxalement, emprisonne et libère simultanément ses protagonistes.
Plus fascinant encore, la tresse symbolise cette tension fondamentale entre individualité et collectivité. Chaque mèche reste distincte tout en participant à une forme plus grande qui les transcende. N'est-ce pas là le mystère central de notre existence – comment maintenir notre identité propre tout en reconnaissant notre participation à la tapisserie cosmique plus vaste de l'humanité ?

« La tresse n'est pas seulement dans les cheveux, elle est dans les vies qui s'entrelacent, dans les destins qui se croisent sans jamais se rencontrer. » — Critique cinématographique sur l'adaptation du roman.
Je perçois dans le motif récurrent des cheveux – coupés, vendus, perdus – une puissante allégorie de l'identité moderne. Les cheveux représentent ici ce que nous sacrifions pour survivre, ce que nous abandonnons pour nous transformer, ce que nous perdons malgré nous. Jung y verrait certainement un symbole archétypal de la vulnérabilité et de la force entremêlées.
Entre vulnérabilité et puissance
« Chacune d'elles, à sa façon, pousse un cri. Un cri silencieux, qui résonne à travers les frontières. » — Laetitia Colombani, décrivant les trois protagonistes de La Tresse.
Sous ce prisme jungien, les cheveux dans La Tresse révèlent une dualité fondamentale qui transcende les cultures représentées. Je perçois comment cette matière à la fois fragile et résistante incarne l'archétype de l'anima – principe féminin universel que Jung considérait comme essentiel à la psyché humaine. Chaque mèche coupée, abandonnée ou transformée par les protagonistes symbolise simultanément leur vulnérabilité face aux forces sociales qui les contraignent et leur puissance intérieure qui s'éveille. Je suis fasciné par la manière dont cette symbolique capillaire fonctionne comme une manifestation de l'inconscient collectif – ces cheveux deviennent le lieu physique où s'exprime la tension entre sacrifice et affirmation de soi, entre dépouillement et renaissance. Ce que Jung nommerait le processus d'individuation se matérialise précisément dans ces transformations capillaires, chaque protagoniste abandonnant une partie de son identité apparente pour accéder à un niveau plus profond et authentique de son être.

La mise en scène m'a particulièrement séduit par sa retenue. Aucune emphase inutile, aucun effet gratuit – juste une caméra qui observe avec justesse les mécanismes subtils de l'aliénation et de l'émancipation.
J'ai été captivé par la dimension philosophique du film qui interroge brillamment le concept de liberté. Sommes-nous déterminés par notre naissance ou pouvons-nous réellement choisir notre destin ? La réponse qu'esquisse le film est nuancée : notre liberté réside peut-être moins dans nos circonstances que dans notre capacité à les percevoir différemment.
Les performances des actrices m'ont touché par leur authenticité. Chacune incarne cette tension psychologique entre résignation et résistance, entre acceptation et révolte. Leurs visages deviennent des paysages émotionnels où se lit toute l'ambivalence de la condition humaine.
Sur le plan symbolique, je ne peux m'empêcher de voir dans ces trois récits entrecroisés une relecture moderne du mythe des Parques – ces trois déesses qui filent, mesurent et coupent le fil de la vie. Chaque protagoniste lutte contre un destin apparemment inéluctable pour réécrire sa propre histoire.

Les Parques
Le fil conducteur de La Tresse
Dans la mythologie romaine, les Parques incarnent le destin sous forme d'un trio de fileuses implacables - Nona qui file la vie, Decima qui la mesure, et Morta qui la tranche. Je vois en elles l'écho parfait des trois protagonistes de La Tresse. Smita représente Nona, créant un nouveau fil d'existence en arrachant sa fille au déterminisme des castes indiennes. Giulia évoque Decima, mesurant l'héritage familial à l'aune des réalités économiques modernes, contrainte de transformer une tradition séculaire pour la faire survivre. Sarah incarne Morta, coupant littéralement ses cheveux mais aussi tranchant dans ses certitudes professionnelles pour renaître différemment. Le génie du film réside dans ce renversement subtil du mythe - ces femmes ne subissent plus passivement leur sort tissé par d'autres mais s'emparent des ciseaux, du fuseau et du fil pour recomposer elles-mêmes la tapisserie de leurs vies. Cette réappropriation symbolique transforme une mythologie de la résignation en manifeste d'émancipation, où chaque protagoniste devient simultanément fileuse et filée, créatrice et création.
Je ressors de cette expérience cinématographique avec une conviction renouvelée : notre humanité se définit ultimement par notre capacité à reconnaître des fragments de nous-mêmes dans l'autre, par-delà les différences superficielles. La Tresse réussit ce tour de force – me faire habiter simultanément trois consciences distinctes et pourtant mystérieusement connectées.
« Ces trois femmes n'ont pas le choix, elles doivent avancer. Leurs cheveux les guident, comme un fil d'Ariane, à travers le labyrinthe de leurs destinées. » — Critique littéraire sur le roman.

L'art subtil d'entrelacer les consciences
« Nos vies sont reliées les unes aux autres, comme les mèches d'une tresse. »
Je me retrouve hanté par les silences éloquents de La Tresse, ces moments suspendus où l'indicible prend forme entre les plans.
Que se passe-t-il après la dernière scène?
Quels fils invisibles continuent de relier ces trois âmes au-delà du cadre ?
Ces questions me poursuivent comme autant d'énigmes savoureuses. Si vous osez vous aventurer dans cette toile délicatement tissée, attendez-vous à être piégé dans ses mailles serrées, à chercher des connexions là où vous n'en soupçonniez aucune, à voir soudain dans vos propres choix l'écho de ces trois destins qui désormais habitent en vous.
L'ultime beauté de La Tresse réside peut-être dans sa capacité à nous montrer comment trois femmes, séparées par des océans et des montagnes, parviennent à transformer leurs cheveux – symboles de leur féminité, de leur identité, de leur place sociale – en instruments de leur propre libération, nous invitant ainsi à nous interroger : quels sont les fils invisibles qui nous relient tous et quelles mèches de notre propre existence sommes-nous prêts à couper pour enfin tisser le récit authentique de nos vies ?
LA TRESSE Bande Annonce VF

Je l'ai vu, il est magique
Super article